Questions à Sylvie Goulard sur la conférence pour la finance durable
Pourquoi cet intitulé de la Conférence ?
La Banque de France ne s'est pas mise à l'ornithologie. La conférence tire son nom d'un ouvrage The Green Swan, publié en janvier 2020 par un groupe d'auteurs (le professeur Patrick Bolton, Luiz Awazu Pereira da Silva, Frederic Samama, Romain Svartzman et Morgan Després – ces deux derniers travaillant à la Banque de France).
Le titre est un clin d'œil au Black Swan, un concept désignant des événements de grande ampleur frappant le secteur financier sans avoir été anticipés, explicables seulement après coup (Nicholas Taleb). L'occurrence des Green Swan est quasi certaine, même si nous ne savons pas où et quand ils frapperont. Ils seront sans doute plus graves encore que les Black Swan parce que le changement climatique a des effets largement irréversibles. Enfin, aucun agent économique, aucun Etat ne peut se couvrir seul contre ces risques, qui appellent donc à plus de coopération.
En quoi ces trois jours de conférence sont-ils un évènement emblématique pour l'année 2021 sur le sujet du réchauffement climatique et afin de verdir le système financier ? Pouvez-vous nous préciser les principaux enjeux et objectifs de cette conférence des superviseurs ?
Cette conférence encourage la coopération, en rassemblant un ensemble exceptionnel de personnalités du monde de la finance engagées dans la lutte contre le changement climatique, la préservation de la biodiversité ou la sauvegarde de la santé humaine.
Elle reflète un impératif au plus haut niveau : transformer la finance pour un développement plus durable.
En 2017, quand la Banque de France et quelques autres partenaires ont lancé à Paris, au One Planet Summit, un réseau pour le verdissement de la finance (Network for Greening the Financial System, NGFS), il était visionnaire d'énoncer que : « Le réseau a pour but, en particulier, de contribuer au développement de la gestion des risques liés au climat et à l'environnement » (art 1er de la charte du NGFS). Depuis, le réseau est passé de 8 à 90 membres. Ses études et scénarios font référence.
Le retour des Etats-Unis dans l'accord de Paris comme l'arrivée de Christine Lagarde à la tête de la BCE et deux présidences ambitieuses du G20 (Italie) et G7 (Royaume-Uni), ont enclenché une nouvelle dynamique.
La pandémie de COVID 19 a aussi conduit les responsables politiques à se poser des questions sur les déterminants de la santé humaine, intimement liée à la santé animale comme à la préservation de l'environnement et de la biodiversité.
Comme l'a déclaré Mario Draghi lors du Global Health Summit à Rome le 21 mai dernier :
« La déclaration de Rome- adoptée le même jour - souligne à juste titre l'importance de poursuivre une approche One Health (une seule santé) – et là j'en arrive au climat - de préserver la sécurité humaine, animale et environnementale. Voilà la première priorité de la présidence italienne du G20.
Le panel d'experts scientifiques a déclaré que la plupart des maladies infectieuses sont causées par des pathogènes issus des animaux. Leur irruption est largement due à la déforestation, à l'exploitation de la faune sauvage, et à d'autres activités humaines. Une action résolue en faveur de l'environnement peut aider à défendre le bien-être animal et, en définitive, limiter les risques de nouvelles menaces sanitaires.
Pour mener à bien une stratégie commune de lutte pour prévenir de futures épidémies, nous devons rehausser notre niveau d'ambition pour limiter les dommages environnementaux et combattre la crise climatique. »
Même s'il reste encore beaucoup de chemin à accomplir pour rallier tous les pays du monde et rendre les engagements effectifs, ces sujets font désormais partie intégrante de l'agenda.
C'est pourquoi nous avons proposé au gouverneur de la Banque d'Italie, Ignazio Visco, de faire l'intervention de clôture. Ainsi la Présidence du G20 pourra tirer des conclusions opérationnelles de la conférence Green Swan.
L'événement « Green Swan » s'inscrit dans un contexte de mobilisation des banques centrales en matière climatique, pouvez-vous en rappeler les principales étapes ? Assistons-nous à une accélération de la prise de conscience des banques centrales ?
Le rôle des Banques centrales n'est pas de se substituer aux pouvoirs politiques. Elles n'en ont pas moins un rôle à jouer, dans le cadre de leur mandat. Elles ont d'abord abordé le sujet par la stabilité financière ; comme l'a théorisé le gouverneur de la Banque d'Angleterre Mark Carney, dès 2015 le changement climatique crée trois types de risques (physiques, de transition et de responsabilité) qu'il appartient de prendre en compte.
Dans le champ de la supervision, l'ACPR a lancé un exercice pilote de stress test volontaires, mené de juillet 2020 à avril 2021 et dont les résultats ont été publiés en mai. Cet exercice est inédit, c'est en effet la première fois qu'un superviseur organise avec les groupes bancaires et organismes d'assurance un exercice d'évaluation des risques associés au changement climatique aussi complet et exigeant. Son caractère inédit et ambitieux réside dans l'horizon sur lequel les risques sont évalués (30 ans), les méthodologies employées (analyse de scénarios déclinés au niveau des secteurs économiques), ses hypothèses novatrices (notamment de bilan dynamique), sa couverture des risques physique et de transition, enfin, le fait que les institutions participantes évaluent directement leurs risques sur la base d'hypothèses communes. Cet exercice a atteint ses objectifs : mobilisation des banques et des assureurs français ; sensibilisation des acteurs aux risques de changement climatique ; quantification et évaluation de scénarios complexes de transition ou de risque physique en s'appuyant notamment sur les travaux du NGFS ; et première mesure des risques et vulnérabilités auxquels les institutions financières françaises sont exposées. Il en ressort une exposition globalement « modérée » des banques et des assurances françaises aux risques liés au changement climatique, même si cette conclusion doit être relativisée à l'aune des incertitudes portant sur la vitesse et l'impact du changement climatique, et contingente aux hypothèses, aux scénarios analysés et aux difficultés méthodologiques. Il apparaît néanmoins que des efforts importants sont à fournir en vue de contribuer à réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre à l'horizon de 2050 et à contenir ainsi la dynamique des températures d'ici la fin du siècle.
Les banques centrales gèrent aussi des portefeuilles propres (par exemple des fonds de réserve ou de retraite) qu'elles peuvent « verdir ». Depuis 2018, la Banque de France a adopté une politique d'investissement responsable exigeante. Depuis février dernier, c'est tout l'Eurosystème qui s'y est engagé.
Enfin, la conduite de la politique monétaire fait actuellement l'objet, dans l'Eurosystème, d'une revue stratégique qui réfléchit au « verdissement » des instruments qu'elle utilise, dans le respect du mandat et de la neutralité de marché.
Ne pas agir n'est pas une option, même si l'intervention des Banques centrales requiert des instruments nouveaux, à affiner petit à petit, en tenant compte de la complexité de ces sujets et de leur interconnexion.
Quel est le rôle de la Banque de France et de l'ACPR dans l'organisation de cette conférence ?
La Banque de France est l'un des quatre co-organisateurs aux côtés de la Banque des Règlements internationaux (la BRI), le Fonds Monétaire international et le NGFS. Je tiens à saluer le travail de toutes les équipes, notamment celles de la Banque de France, au cours des derniers mois.
Lorsque l'idée a germé dans un petit noyau autour des auteurs du Green Swan ainsi que Frank Elderson, Tao Hang et moi-même, nous ne pensions pas que nous arriverions à mobiliser autant de personnalités mais petit à petit, à force de persuasion, le programme a pris tournure.
Naturellement, nous pouvions capitaliser sur le travail des équipes de la Banque, notamment de la DGSO (le nouveau Centre sur le Changement Climatique), du Secrétariat général, et de l'ACPR. L'œuvre est toutefois collective ; je tiens notamment à saluer les collègues du FMI et du NGFS et tout particulièrement, à la BRI, l'implication de Luiz Awazu Peireira da Silva, infatigable malgré les tracas, qui a été l'âme de notre petit groupe.
En quoi les travaux du NGFS ont-ils permis d'accélérer la coopération et la mobilisation face aux défis collectifs ?
Le NGFS a le mérite d'être global : il rassemble des économies avancées comme des pays en développement ou émergents, sur 5 continents.
Ses travaux non contraignants tirent leur force de leur qualité technique, à l'écart des controverses politiques.
Naturellement sa croissance rapide, son hétérogénéité comme l'absence de force légale de ses recommandations sont autant de vulnérabilités dans un monde où les citoyens attendent des résultats tangibles et où la complexité des sujets, leur imbrication (comme entre climat et biodiversité par exemple) ne cesse de s'accroître.
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