Sylvie Goulard, seconde sous-gouverneure de la Banque de France, a participé le 27 juin au colloque Solutions et actions pour la Nature - Dialogue Entreprises et Finance organisé par les associations Finance for Tomorrow (F4T) et Entreprises pour l'Environnement (EpE). Dans la perspective de la COP15 de la Convention sur la Diversité Biologique, qui se tiendra du 5 au 17 décembre 2022 à Montréal, et des premiers livrables de la Task-force on Nature-related Financial Disclosures (TNFD), ce colloque avait pour objectif de lancer une dynamique d'échanges entre institutions financières, entreprises et parties prenantes sur leurs actions en faveur de la biodiversité et d'accroître la mobilisation des acteurs.
Ci-après les éléments développés par Sylvie Goulard à cette occasion.*
« Depuis 2017, la communauté des banques centrales et superviseurs réunie au sein du Network for Greening the Financial System (NGFS) a beaucoup fait pour la prise de conscience des acteurs financiers en matière de changement climatique. L'objectif de ce réseau qui rassemble aujourd'hui 116 membres et 19 observateurs est de contribuer aux bonnes pratiques en matière d'analyse des risques que le changement climatique et les enjeux environnementaux font peser sur la stabilité financière et des prix, et de contribuer au financement de la transition écologique.
L'année dernière, le NGFS et un réseau de recherche – INSPIRE – ont décidé conjointement de se pencher sur le sujet du déclin de la biodiversité, sans a priori, pour étudier ses implications pour les banques centrales et les superviseurs. Ces travaux ont abouti à la publication en mars 2022 d'un rapport final et d'une déclaration officielle du NGFS reconnaissant la pertinence des enjeux liés à la nature pour le mandat qui nous est attribué en matière de stabilité financière. Une Task force que je co-préside est maintenant lancée, avec pour objectif l'intégration de ce sujet dans l'ensemble des activités des banques centrales et des superviseurs dès lors qu'il présente un enjeu matériel.
Pour le NGFS, qui s'était jusque-là concentré sur les enjeux climatiques, il s'agit d'un tournant important mais aussi tout à fait naturel et très consensuel : près de la moitié des membres sont représentés au sein de cette initiative. Il s'agit réellement d'une prise de conscience en profondeur.
Les raisons qui nous poussent à nous intéresser à ce sujet sont les mêmes que pour le climat : le déclin de la biodiversité et, au-delà, le recul de la nature, est porteur de risques financiers significatifs.
C'est le cas au niveau micro, pour les entreprises et, par extension, pour les acteurs financiers qui leur sont exposés. Les cadres de disclosure, avec la TNFD et les exigences fixées par l'Article 29 en France et par le droit européen, demandent aux entreprises et notamment à celles du secteur financier de rendre compte de ces risques en mesurant mieux leurs dépendances et leurs impacts.
Ces risques sont potentiellement significatifs aussi au niveau macro. Par exemple, une étude conduite notamment par des chercheurs de la Banque de France a établi que 42 % du montant des actions et obligations détenues par des institutions financières françaises est émis par des entreprises qui sont fortement ou très fortement dépendantes d'au moins un service écosystémique. Cela rejoint différentes études économiques, telles que le rapport Dasgupta publié en 2021 pour le Trésor britannique. Ce rapport indique que les conséquences de la disparition des services fournis par les écosystèmes et des risques financiers associés – risques physiques – sont potentiellement gigantesques, dans la mesure où ces services ne sont pas – ou difficilement – substituables.
Cette même étude de la Banque de France évalue l'empreinte biodiversité terrestre du portefeuille analysé, qui est comparable à la perte d'au moins 130 000 km² de nature « vierge », ce qui correspond à l'artificialisation totale de 24 % de la surface de la France métropolitaine. Or, ce sont justement les impacts de nos activités économiques sur la nature qui sont à l'origine de son recul. Y remédier suppose des changements profonds dans de nombreuses activités humaines. Les entreprises qui n'anticipent pas et ne s'adaptent pas sont exposées à des risques de transition.
Lorsqu'on évalue l'ampleur des risques, on oppose parfois climat et biodiversité, en disant que la biodiversité serait un sujet essentiellement local. Il est vrai que le déclin de la biodiversité a des causes et des manifestations locales, tandis que les émissions de gaz à effet de serre sont fongibles, c'est-à-dire que leur lieu d'émission n'a pas d'importance.
Il ne faut toutefois pas perdre de vue que, malgré l'importance des dynamiques locales, certains de ces risques sont potentiellement mondiaux. La contagion de certains chocs environnementaux peut se faire à travers les chaines d'approvisionnement et affecter de nombreuses entreprises mais également des États à travers le monde. On voit aujourd'hui l'importance que peut avoir un phénomène très localisé sur le reste du monde, que ce soit l'émergence d'une pandémie, la baisse de la production agricole (disponible dans le cas de la guerre en Ukraine, absolue dans le cas d'un stress hydrique majeur ou d'autres aléas climatiques) ou une contrainte physique sur les matières premières énergétiques. Dans un rapport de 2020, l'IPBES (l'équivalent du GIEC pour la biodiversité) met en avant une augmentation des risques de pandémie du fait de la destruction de la nature par les activités humaines.
La crise de la biodiversité est un sujet global également du fait de ses liens avec le changement climatique comme avec les autres limites planétaires (par exemple, les changement d'usage des sols, la disponibilité d'eau douce, la pollution chimique, etc.) et avec les risques qu'ils font peser sur les services écosystémiques que nous tenons pour acquis et dont la fragilité et l'importance nous échappent. Nous devons avoir à l'esprit ces interconnexions pour essayer de maximiser les synergies. Nous ne devons pas pour autant perdre de vue les arbitrages qu'il pourrait falloir faire, compte tenu des contraintes que chaque limite planétaire impose au développement de nos activités et aux réponses que nous pouvons apporter. Par exemple, certaines mesures d'atténuation du changement climatique comme la reforestation massive pourraient avoir des conséquences nocives sur la biodiversité, s'il s'agit de monocultures ou de cultures peu adaptées aux écosystèmes locaux. »
* Seul le prononcé fait foi.